« Qui peut échapper à ce que dit le mot désir ? Ni le vêtement, ni le silence, ni la nuit, ni les fards, ni même les pensées volontaires ne dissimulent tout à fait la honte des fantasmes qui nous affolent. La femme ou l’homme qui implorerait pitié pour son désir implorerait en vain. »
Agustina Izquierdo
INTERVIEW DE CÉDRIC ORAIN PAR PATRICK BEAUMONT – JOURNALISTE
Patrick Beaumont : Après Striptease et Sortir du corps, présenté au Phénix récemment, vous adaptez cette fois à la scène le roman d’Agustina Izquierdo, L’Amour pur. Que cherchez- vous à en faire ?
Cédric Orain : Ce roman raconte une passion interdite entre un prêtre et une servante dans le Barcelone du XVIIIe siècle. J’ai voulu que l’histoire de ce désir impossible et irrépressible, soit portée par la voix d’une femme surgit de la nuit, et rythmée par une musique live.
Et puis j’arrive au bout d’un cycle de spectacles autour de la nuit, sur la nuit, j’ai certainement envie d’en finir… alors je voudrais que celui-ci soit comme une plongée abyssale au cœur d’un inaltérable amour.
P.B : Comment la nuit prend-elle part concrètement à cette histoire d’amour ?
C.O : La nuit est le lieu de leur rencontre amoureuse, de leur désir. C’est dans l’obscurité d’une petite chambre que cette femme et cet homme ne peuvent s’empêcher de se retrouver, de se blottir, de se confondre, malgré les reproches et les colères du prêtre. C’est dans la nuit qu’ils fondent leurs sentiments.
P.B : Vous parlez des reproches du prêtre, et du poids de la religion dans la question du désir ; l’histoire se passe au XVIIIe siècle, en quoi cette histoire est-elle en lien avec notre époque ?
C.O : Ce qui me touche dans ce texte, c’est la façon, dont la femme arrive à vivre son désir, comment elle l’assume malgré l’interdit et le poids des jugements sociaux. Comment elle fait front. J’oublie que ça se passe au XVIIIe, je ne le mentionne d’ailleurs pas dans mon adaptation. Je trouve que la manière dont cette femme se dresse devant la problématique sociale qu’elle doit subir, a quelque chose de très moderne.
P.B : Doit-on s’attendre à retrouver une petite chambre obscure sur scène ?
C.O : Oui mais pas dans une esthétique réaliste. J’ai préféré qu’on raconte l’histoire plutôt qu’on la représente. Avec Pierre Nouvel, nous avons pensé une scénographie qui permette de figurer les différents lieux – des tableaux très évocateurs dans le roman -, sans les représenter, nous cherchons à retrouver l’atmosphère du lac, de la chapelle, ou de la chambre, pour aiguiser l’imaginaire du spectateur. Les images doivent émerger de l’histoire, et chacun doit pouvoir composer des tableaux avec ce qui se dessine sous ses yeux.
NOTE D’INTENTION
Le père Guimerà aime la servante. Son désir l’obsède, sans fin. Il en souffre, et tente par tous les moyens possibles de se soustraire à la faim de ces désirs qui le hantent. Il souffre du plaisir qu’ils se donnent. Il s’en rend coupable jusqu’à l’épuisement, jusqu’à tomber malade, jusqu’à en mourir.
La servante Rina Jonques aime le père. Elle le désire inlassablement, malgré les reproches, les sermons, et les invectives du père. Elle reste silencieuse, se mord les lèvres, étouffe ses cris, retient son souffle brûlant, et ferme chaque fois ses yeux quand elle se couche auprès de lui et que leurs corps vont pour se toucher dans la nuit qui les enveloppe.
Par le lien qui se noue entre cet homme et cette femme qui ne peuvent se séparer quoiqu’il leur en coûte, j’entends une histoire qui vient murmurer à l’oreille : souvenez-vous comme il est triste de perdre ce qu’on aime, souvenez-vous comme il est triste de perdre tout ce qu’on a perdu.
Cédric Orain
Cédric Orain était Le coup de fil d’Arnaud Laporte dans l’émission